Le 16 octobre 2017, la Maltaise Daphne Caruana Galizia, journaliste et blogueuse, a été assasinée par l’explosion d’une bombe dissimulée sous sa voiture. Elle était connue pour avoir dénoncé la corruption dans son pays, notamment en révélant des pots-de-vin, des trafics illicites, des sociétés et comptes bancaires offshore impliquant la famille et les collaborateurs du premier ministre, Joseph Muscat. Ces révélations ont indirectement occasionné la tenue d’élections anticipées sur l’île. Ses investigations portaient aussi sur l’opposition maltaise. Cet odieux assassinat qui émeut le monde, relance la question de la définition et de la protection des lanceurs d’alerte.
Des vigies citoyennes sujettes à la controverse
Les lanceurs d’alarmes se retouvent souvent sous le feu des projecteurs, continuellement exposées aux intimidations, aux procès pour diffamation ainsi qu’aux représailles (licenciements, accusations, emprisonnements, …). Mais dans cette sphère, les faux signalements se multiplient aussi, de même que les auto-proclamations corrélées d’impostures. Aussi, le regard qu’on porte aux lanceurs d’alerte est fonction des pays, des régions et des intérêts en jeu. Par exemple, :
-Edward Snowden, Julian Assange et Bradley Manning sont des héros pour la majorité des citoyens du monde et pour quelques états (la Russie et l’Equateur, en tête) ; pourtant plusieurs autres états, y compris, la France, les Etats-Unis et l’Angleterre, les considèrent comme des espions, des traîtres de la pire espèce, qui méritent d’être sévèrement punis ;
-Pierre Condamin Gerbier, anciennement employé de la banque Reyl & Cie, a affirmé, en 2013 dans l’affaire Cahuzac, devant une commission d’enquête du sénat français, pouvoir réveler une qinzaine de noms d’autorités ayant des comptes cachés dans une banque suisse ; mais la France n’a pas accédé à sa demande d’extradition ; finalement jugé en suisse, il avoue à la justice avoir fait une manipulation de l’information et n’avoir aucune liste, aucun nom à révéler ; il s’agirait là d’un cas d’imposture aux yeux de la justice suisse et des autorités françaises ;
-Hervé Falciani, l’informaticien qui a fourni la fameuse liste HSBC ayant permis au fisc français de recouvrer plusieurs centaines de milliers d’euros, aurait agi par intérêt personnel, on lui reproche d’avoir initialement tenté de monnayer sa précieuse preuve ;
-Antoine Deltour, à la base de l’affaire des Luxleaks ; ce comptable ayant fait fuité des documents compromettant qui prouvent un accord entre des multinationales et le fisc du Luxembourg, ne comprend pas pourquoi la justice luxembourgeoise le condamne en appel, tout en lui reconnaissant le statut de lanceur d’alerte.
Il s’avère alors crucial de faire la part des choses, de déterminer qui est lanceur d’alerte, qui ne l’est pas. La question de la protection des lanceurs d’alerte est plus qu’urgente. En Europe, et notamment en France, le sujet semble préoccuper les pouvoirs publics, au point qu’un cadre juridique protecteur se met progresivement en place. Entre 2007 et 2015, il y a eu plusieurs initiatives. En son temps, des députés préparaient une loi sur la définition du statut des lanceurs d’alerte, leurs obligations et leurs droits. Finalement, tout ceci sera consacré par la loi Sapin II. Qui sont les nouveaux lanceurs d’alerte ? Dans les lignes qui suivent, une lucarne sera faite, entre autres, sur les orgines, la définition, les droits et les obligations des lanceurs d’alerte.
Origines
L’appellation « lanceurs d’alerte » existe depuis deux décennies. Mais ceux qu’elle désigne, ont agi depuis belle lurette et continue de le faire, sans vraiment se préoccuper de la façon dont ils sont vus ou traités par les uns et les autres. Les anglo-saxons les appellent plutôt « Au nombre des plus connus, figurent :
- Martin Luther, moine allemand excommunié pour avoir dénoncé les déviations de l’église catholique consistant à monnayer une (supposée) entrée au paradis ;
- Albert Einstein
- Jan Karski, auteur du rapport Karski qui révèle l’horreur de l’extermination de milliers de Juifs par l’Allemagne nazie ;
- William Mark Felt, alias « Gorge profonde », dans l’affaire du Watergate ;
- Erin Brockovitch, à la base du scandale de la pollution des eaux de la ville de Hinkley en Californie.
L’histoire retient que ces personnes, en lançant l’alerte, ont mis leurs carrières, leurs vies et celles de leurs collaborateurs ou des membres de leurs familles en danger. Durant les deux premières décennies du XXI ème siècle, quelques-uns de nos contemporains ont agi de façon similaire, dans l’intérêt général, afin de stopper ou de prévenir, entre autres, une catastrophe sanitaire, un détournement de déniers publics, des évasions fiscales de grande envergure, une atteinte grave et/ou massive à la vie privée. Ces contemporains qui oeuvrent ainsi, sans se laisser ébranler par les avalanches de pressions et de difficultés, sont, dans les faits, les nouveaux lanceurs d’alerte.
Qui sont les nouveaux lanceurs d’alerte, selon les sociologues ?
A l’origine, le sociologue français Francis Chateauraynaud et ses collègues, qui travaillaient aux côtés de Luc Boltanski, sans prendre pleinement la mesure du phénomène des lancements d’alerte, avaient simplement désigné ces nouveaux acteurs par l’expression péjorative « prophètes de malheurs » puisqu’ils annonçaient souvent un risque, une menace, une catastrophe imminente. Mais cette méprise doublée de maladresse, va leur coûter un « malaise », notamment celui d’Henri Pézerat, porteur de la contestation anti-amiante. Ces sociologues chercheurs vont très vite se raviser, comprendre leur méprise et finalement opter pour « lanceurs d’alerte », une dénomination jugée vraie, valorisante et porteuse d’avenir.
Définition des nouveaux lanceurs d’alerte, selon la loi Sapin II
En France, pour combler le vide juridique et remédier à l’absence de protection des acteurs de la sphère du lancement d’alerte, est votée, en décembre 2016, la loi Sapin II, du nom de Michel Sapin, Ministre de l‘Economie et des Finances, de l’Hexagone. Cette disposition juridique donne une définition, notamment en son article 6, du « nouveau » lanceur d’alerte : une personne physique, témoin, qui, de bonne foi et sans intéressement, avertit d’un préjudice ou d’une menace graves pour l’intérêt général, ou dévoile un délit, un crime, une transgression manifeste et grave d’une loi, d’un règlement ou d’un acte international que la France promeut ou soutient. Toutefois, le secret des relations client avocat, le secret médical et le secret de la défense nationale ne sauraient être transgressés au motif de lancer une alerte. Tout contrevenant ( toute personne divulgant des informations et faits classés secret, médical, secret défense ou secret client avocat) ne bénéficierait pas du statut de lanceur d’alerte.
Obligations et droits des nouveaux lanceurs d’alerte
Obligations et procédure d’alerte
La loi Sapin II encadre aussi la procédure de lancement d’alerte au sein d’une entreprise. Autant que faire se peut, les salariés lanceurs d’alerte devraient d’abord s’adresser à leurs supérieurs hiérarchiques, puis, en cas d’inaction, en porter le signalement aux autorités administratifs, aux autorités judiciaires ou aux ordres professionnels. Si, ces derniers, à leur tour, ne réagissent pas dans un délai de trois mois, alors les employés lanceurs d’alerte peuvent porter l’affaire sur la place publique ou saisir la justice. Auxquels cas, ils bénéficieront du statut de lanceurs d’alerte et de l’armada des protections associées. La loi Sapin II permet aussi au lancer d’alerte de saisir directement les autorités judiciaires s’il y a des dommages irréversibles ou un danger imminent et grave.
Droits et protections
Les PME et personnes morales de droit public d’au moins 50 agents salariés seront obligées, dès janiver 2018, d’instaurer une procédure interne de lancement d’alerte. Cette obligation s’étend aussi aux entreprises de plus de 500 employés ainsi qu’à leurs maisons mères, aux établissements publics, aux régions, aux départements et aux communes de plus de 10 000 habitants. Une nouvelle ère s’ouvre dans le monde des entreprises ! Sous peine d’une amende de 30 000 € et d’un emprisonnement de 2ans, ces différentes structures sont tenues d’assurer la confidentialité de l’identité des porteurs de signalements ainsi que celle des informations obtenues par les destinataires. Lorsqu’un lanceur d’alerte effectue un signalement dans le respect de la loi, toute personne qui se rend coupable d’obstruction à la transmission dudit signalement est risque un an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende. Aussi, il est proscrit de porter plainte pour diffamation auprès d’un juge. Toute personne qui le fait peut être punie d’une amende de 30 000 €. Et, ce n’est pas tout ! Si le lanceur d’alerte procède à la divulgation d’un secret protégé par la loi (à l’exclusion des 3 secrets susindiqués), dans le respect des procédures de signalement prescrit par la loi, il bénéficie d’une immunité pénale comme le prévoit l’article 122-9 du code pénal, introduit par la loi Sapin II.
Cas pratiques : lanceurs d’alerte bénéficiant effectivement de la protection de la loi
Bien que le citoyen lambda n’en sache pas beaucoup ou juste ce que les médias veulent bien relayer, la justice est continuellement sollicitée pour des questions concernant des employés lanceurs d’alerte et leurs employeurs. Et très souvent, le verdict tourne à la faveur des lanceurs d’alerte qui bénéficient d’une protection optimale pour avoir agi dans le respect de la législation en vigueur. Deux cas permettent de s’en convaincre aisément.
Cas 1
Le premier cas implique une banque d’investissement et son ex-employé, Stéphane Z. Ce dernier a été licencié courant 2008 après une altercation avec un collègue, à l’issue de laquelle il avait dénoncé une manipulation de cours auprès de son supérieur hiérarchique, puis auprès d’une cellule interne dédiée à ce type de situation. Contestant son licenciement, l’ex-employé a esté en justice. En décembre 2013, les prud’hommes le déboute de sa demande relative à la nullité du licenciement mais lui accorde 33 000 € d’indemnités pour licenciement sans cause sérieuse et réelle. Pas satisfait, l’ex-employé fera appel. Et, à la faveur du vote de la loi Sapin II du 9 décembre 2016, son statut de lanceur d’alerte est reconnu le 16 decembre 2016 par la cour d’appel de Paris, qui prononce alors la nullité de son licenciement et ordonne sa réintégration.
Outre le versement de 5470 € par mois à l’ex-salarié jusqu’à sa réintégration effective, la banque doit aussi verser, au titre du préjudice subi, 330 000 € d’indemnités. Une telle application systématique de la loi Sapin II qui surprend l’avocate de la banque, donne à réfléchir sur l’avenir des nouveaux lanceurs d’alerte. Pour la comprendre, il faut considérer l’étendue de la protection que la loi garantit aux lanceurs d’alerte. La loi Sapin II protège le lanceur d’alerte contre les discriminations qu’elles soient directes ou indirectes. Par exemple, ce dernier ne peut être licencié ni sévèrement sanctionné en matière de période de formation professionnelle, d’accès à un stage ou de procédure de recrutement.
Cas 2
Le second cas est relatif à la protection de l’identité des lanceurs d’alerte en Grande Bretagne. En juin 2016, un employé de banque adresse à son PDG et au Conseil d’administration un courrier anonyme dans lequel il fait part de ses soupçons au sujet du recrutement d’un cadre. Il s’interroge notamment sur le rôle joué par le PDG dans ce recrutement. Très remonté par cette accusation de favoritisme, le PDG demande par deux fois au service courrier et informatique de trouver l’identité de cet employé.
Informées de ce cas de violation de la législation sur la protection de l’identité des lanceurs d’alerte, les autorités compétentes ont annoncé prendre l’affaire au sérieux et ont ouvert une enquête portant sur la banque et son PDG. Le conseil d’administration a même pris une sanction interne consistant à baisser, de façon sensible, la part variable de la rémunération du PDG. Prenant la pleine mesure de son « erreur », le PDG a dû s’excuser auprès du conseil d’administration puis des actionnaires. Mais l’enquête suit son cours et est suivi de prêt par une instance compétente de New-York, aux Etats-Unis, pays d’origine du PDG en question.
L’unanimité semble acquise au sujet de la définition des lanceurs d’alerte agissant dans des domaines comme le sport, l’environnement et la santé. Par exemple, Irène Franchot est plébiscitée pour son combat dans l’affaire du Médiator. Mais, la divergence des intérêts des états pour les questions de finance, de fiscalité et de sécurité jette le flou sur la reconnaissance des lanceurs d’alerte. Snowden, Assange, Manning et bien d’autres seraient des traîtres à punir pour les certains pays occidentaux (pour avoir fait fuiter des documents classés secret défense) alors qu’ils sont vu comme de véritables héros par d’autres pays et par une kyrielle de citoyens occidentaux. Les nouveaux lanceurs d’alerte qui bénéficient de la reconnaissance et d’une protection parfaite de l’Occident s’avèrent ceux qui, comme Stéphane Z, témoignent ou révèlent des faits de corruption, d’évasion fiscale et assimilés, « de bonne foi et de façon désintéressée » et qui permettent de récupérer de substantielles recettes fiscales. Les entreprises sont invitées à les encourager en facilitant la remontée de des signalements ou à prendre les mesures correctives appropriées, sous peine de sanctions.
Commentaires récents