Secret de polichinelle, les podcasts radio et natifs ont désormais le vent en poupe en France : des organisations plus ou moins indépendantes telles que Binge Radio[1], BoxSons[2], Louie Media[3], Nouvelles écoutes[4], Plink et Moissonores[5] ont décidé de s’investir à fond dans ce secteur qui, de son statut de niche, est devenu un véritable créneau de masse. A côté des auditeurs de la métropole et de ceux des départements et régions françaises, les podcasts made in France sont massivement téléchargés et écoutés à l’étranger, notamment aux Etats-Unis, non pas uniquement par les Français expatriés, mais aussi et surtout, par une communauté francophile de plus en plus importante. C’est tout naturellement que les podcasts se développent à vitesse grand V en France, dans l’espoir d’atteindre un essor semblable au phénoménal succès des podcasts d’Outre-Atlantique.

Qu’est-ce qu’un podcast ?

Si en 2005, on se demandait souvent ce qu’est un podcast, en 2018, les auditeurs savent, dans leur grande majorité, qu’il s’agit d’un fichier audio (en général) téléchargeable en ligne, qui leur permet d’écouter un programme radio qu’ils ont manqué ou qui leur donne l’opportunité de réécouter une émission qu’ils ont aimée. Le podcast a l’avantage, au contraire des programmes radiodiffusés sur différentes fréquences, d’offrir plus de liberté d’écoute aux auditeurs.

Grâce à ce format, ils peuvent écouter chacune de leurs émissions préférées quand ils veulent, où ils l’envisagent et autant de fois qu’ils le souhaitent. Les programmes radiodiffusés seraient « destinés à tout le monde » tandis que les podcasts seraient produits et mis en ligne « pour satisfaire chacun ». Sans mobiliser les yeux et/ou les mains ni nécessiter une concentration totale, les podcasts peuvent être écoutés en faisant du jogging, de la cuisine, de la randonnées ou même dans les transports.

Parce que les canaux de diffusion des podcasts deviennent de plus en plus nombreux, les formats se multiplient pour épouser les goûts et préférences des auditeurs. Les chaînes de radio, de télévision et les journaux (mais pas qu’eux) rivalisent d’ingénuosité et d’ardeur pour proposer ce qu’il y a de mieux, afin d’être le plus proche possible des auditeurs. Ainsi, trouve-t-on sur des plateformes comme Youtube ou Facebook, des podcasts vidéo produits par des médias traditionnels français (radio, journaux) pour lesquels la vidéo n’est pas le coeur de métier.

Si avant 2017, la tendance était de proposer des podcasts radio qui s’avèrent des versions numérisées et téléchargeables des programmes radio, la tendance actuelle est de faire du podcast natif, une version d’abord (sinon uniquement) dédiée aux internautes.

De l’intérêt grandissant des médias traditionnels français pour le podcast

En mai 2018, France Culture annonce avoir enregistré un nouveau « record » en terme de téléchargements de podcasts[6]. Trois mois plus tôt, cette chaîne de radio lançait, avec la collaboration de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques[7] (SACD), son premier podcast natif de fiction, Hasta Dente ![8], une série policière irrévencieuse et loufoque de 9 épisodes, écrite par Léon Bonnaffé, l’un des 7 lauréats issus d’un appel à projets initié en juillet 2017[9].

En octobre 2017, France Inter avait aussi enregistré un record de téléchargements de ses podcasts. Cette autre chaîne du groupe Radio France lance également son premier podcast natif dénommé « A la hussarde »[10] qui enregistre très rapidement ses 500 000 premiers téléchargements. Cette prouesse confirme tout le bien qu’on dit de cette radio. Par exemple, le 12 septembre 2017, la famille radio France a eu l’agréable surprise de lire ce tweet « Best radio in the world: @fipradio. Always perfectly tuned »[11] entendez « meilleure radio du monde : France Inter Paris. Toujours parfaitement programmée. » Venant du co-fondateur et PDG de Twitter, média social d’envergure mondiale, ce compliment est de taille et montre l’ampleur de l’audience des chaînes de radio de France.

Vous l’aurez compris : les radios traditionnelles sont désormais dans une dynamique de repositionnement de leurs podcasts, jadis uniquement axés sur la réécoute (replay). Il leur fallait nécessairement étoffer l’offre radio avec des postcasts, d’abord en réécoute, puis au format natif car la concurrence, mue par les progès de l’Internet et des objets connectés, se montre très créative et performante.

Outre les radios, la presse écrite a elle-aussi hissé haut le drapeau du podcast made in France. Tout en adoptant résolument le format de diffusion podcast, le magazine Les Echos explique clairement le caractère opportun et nécessaire de la démarche : « Avec la montée en puissance des assistants vocaux, les journaux vont proposer de plus en plus de contenus audio »[12]. C’est donc la tendance du moment ! Parlant de journaux, il n’y a pas que la presse écrite, il faut naturellement inclure les chaînes de télévision telles que LCI et France 24. Les podcasts de cette dernière sont disponibles non seulement en français mais aussi dans d’autres langues comme l’anglais, l’arabe et l’espagnol.

Bref historique du podcast made in France

L’histoire retient que le vocable « podcast » est incidemment formulé par la contraction et la justaposition des mots « Ipod », un formidable baladeur signé Apple, et « broadcasting », une méthode permettant d’obtenir des fichiers MP3. L’auteur du « formidable » incident n’est nul autre que Ben Hammersley[13], alors journaliste pour BBC. En 2005, le terme fait son entrée dans le célèbre « New Oxford American Dictionary» et signifie un enregistrement sonore numérique d’un programme radio ou assimilé, disponible au téléchargement sur la toile vers un terminal audio personnel.

Cela dit, le concept du podcast n’est pas nouveau en France. Créée en novembre 2002, la webradio française Arte-Radio (propriété de Arte-France), strictement non commerciale, sans musique et sans publicité, proposait gratuitement du podcast natif dès février 2004[14], avec un succès relatif : en 2010, elle comptait plus de 200 000 auditeurs uniques mensuels[15]. A la suite de cette pionnière, les initiatives se multiplient, attisant la curiosité puis l’engouement des internautes français, geeks ou pas.

Podcasts natifs made in France : plusieurs formats à l’essai

En ce qui concerne les formats des podcasts natifs, chaque producteur y va de son inspiration. Les domaines de couverture étant nombreux, les producteurs les plus avertis préfèrent copier ce qui se fait le mieux et se vend bien Outre-Atlantique. Louie Media se positionne comme un studio de podcasts narratifs destinés aux tiers, tandis que « Nouvelles écoutes » fait plutôt du podcast d’entretien sur le modèle du podcast d’interview américain. « Moissonores » (inspiré du moi sonore[16]) aime raconter des histoires qui plaisent à chaque auditeur, Slate France a choisit de transférer beaucoup d’émotions à ses auditeurs à travers « Transfert », un podcast qui sait captiver ses auditeurs à travers une histoire vraie racontée de façon saisissante, excitante et palpitante. D’autres podcasteurs ont su développer, autour de leurs productions, une communauté d’auditeurs très actifs enclins à participer aux enregistrements publics et à commenter les podcasts sur les réseaux sociaux.

Alors qu’un smartphone aurait pu suffir à enregistrer des podcasts, plusieurs producteurs soucieux d’offrir le nec plus ultra à leurs auditeurs ou à leurs partenaires (généralement des marques), font appel à des professionnels de l’audiovisuel et invitent constamment des personnes ressources, notamment des spécialistes du reportage, du documentaire ou encore du débat, dans le cadre de leurs productions. Ainsi, ils parviennent à couvrir avec dextérité moult domaines, qu’il s’agisse de divertissement, de culture, de cinéma, de sport, de High-tech ou encore d’économie et de politique.

Des chiffres qui donnent le tournis

En 2012, le marché du podcast représentait 500 000 internautes quotidiens et 7 millions d’auditeurs uniques mensuels[17]. Il a été dénombré 19,1 millions de podcasts téléchargés en décembre 2012, repartis comme suit Divertissement 37%, Culture 32,2%, Information 22,5%, Musique 4,1%, Vie pratique 3,6%, Sport 0,4%, Autres 0,1%. Europe 1 et RTL étaient respectivement crédités de 5,879 millions et 3,972 millions de téléchargements de podcasts, loin derrière le groupe Radio-France qui cumulait 9,301 millions de téléchargements dont 3,921 millions pour France Culture et 3,850 millions pour France Inter.

En décembre 2013, les auditeurs ont téléchargés 22,6 millions de podcasts radio, repartis de la façon suivante : Divertissement 35,7%, Culture 33,3%, Information 22,2%, Vie pratique 4,1%, Musique 3,8%, , Sport 0,5%, Autres 0,5%. Europe 1 et RTL ont respectivement enregistré 7,173 millions et 4,601 millions de téléchargements de podcasts, loin derrière le groupe Radio-France qui totalisait 10,857 millions de téléchargements parmi lesquels 4,619 millions de podcasts France Culture et 4,535 millions sur France Inter.

Pour septembre-octobre 2017, Médiamétrie a dénombré 7 millions d’internautes auditeurs radio par jour, avec 1,2 million de personnes qui écoutent les programmes en replay et 1,8 million d’auditeurs aiment « regarder les vidéos » des chaînes de radio chaque jour. En novembre 2017, le groude radio France totalisait à lui seul 55,901 millions de téléchargements de podcasts. France Culture a annoncé avoir passé la barre des 20 millions de téléchargements annuels de podcasts en janvier 2018 (puis un record de 23,5 millions de podcasts téléchargés en mai 2018), tandis que France Inter a annoncé plus de 30 millions de téléchargements de podcasts en un an. Ces chiffres s’avèrent impressionnants à l’échelle de l’Hexagone même s’ils restent assez modestes au niveau mondial.

A la recherche d’un système de mesure fiable pour mieux engager les annonceurs

L’intérêt pour le podcast français est nettement perceptible aussi bien chez les producteurs que chez les auditeurs et les annonceurs. Il se dit haut et fort que l’industrie peine encore à trouver ses modèles économiques. Pourtant, plusieurs éditeurs ont vite fait de franchir le pas en produisant des podcasts pour des marques, en levant des fonds auprès de sponsors avertis, ou en faisant payer directement leurs auditeurs (par abonnement mensuel/annuel ou par téléchargement payant à l’unité).

Il convient plutôt d’indiquer qu’en France, la sphère du podcast peine à trouver ses marques, faute de statistiques fiables, afin de se financer par la publicité. Longtemps restée sous le feu des critiques, la firme Apple a fini par réagir positivement en mettant à la disposition des podcasteurs une série d’outils de mesure d’audience (en version bêta) depuis fin 2017[18]. Grâce à ce formidable élan, on a su que « Si tu écoutes, j’annule tout » et « La revue de presque de Nicolas Canteloup » font partie des podcasts français les plus téléchargés sur iTunes, mais se classent nettement derrière « Les Grosses Têtes »[19], plutôt en tête. A coté du mastodonte, des plateformes tierces comme Pocket Casts et Podcast Addict (de Xavier Guillemane). Cette dernière est longtemps restée l’une des seules portes d’entrée des produits podcasts sur Android.

Monétisation du podcast en France : un véritable défi pour les éditeurs

Certes, Apple lance aussi la monétisation de podcasts par la publicité directement sur iTunes. Mais, en attendant que la mayonnaise prenne bien, le défi de la monétisation reste entier pour le podcast en France. La présence des plateformes Deezer, Google Play et Spotify donna certainement plus d’opportunités. Pour les autres solutions, on note, par exemple, que les débouchés qui font leurs preuves dans les pays anglo-saxons sont souvent accessibles aux Français. Sinon, il est possible de reproduire les bons exemples en Hexagone.

Comme bien d’autres créateurs, Patrick Beja en a fait la savoureuse expérience, lui qui a fini par se consacrer à plein temps à la réalisation de podcasts afin d’en vivre pleinement. Imitant des amis anglophones, il se lance au premier trimestre 2014 en sollicitant le financement participatif via Patreon[20]. Alors qu’il se serait, à l’époque, contenté de quelques centaines de dollars par épisode, « en une semaine, ça explosé à 500 dollars » confie-t-il. L’expérience a été si reluisante que le podcasteur a préféré rendre sa démission à Blizzard. Il s’est, entre autres, aussi inscrit sur Tipeee[21]. L’ordonnance no 2014-559 du 30 mai 2014 encadre cette dernière plateforme de financement participatif, qui est, sans conteste, une version française de Patreon. Pour le moment, Beja touche au moins 2150 dollars par épisode et tire ainsi profit de ses podcasts (Phileas Club, Positron, AppLoad, …) regroupés sur Frenchspin.

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[1] https://www.binge.audio/

[2] https://www.boxsons.fr/

[3] https://louiemedia.com/

[4] http://www.nouvellesecoutes.fr/

[5] https://lesmoissonoresblog.wordpress.com/

[6] https://www.franceculture.fr/medias/record-absolu-de-podcasts-telecharges

[7] https://www.sacd.fr/

[8] https://www.franceculture.fr/litterature/111-jeudi-vous-avez-dit-bizarre

[9] https://www.lalettre.pro/Les-premiers-laureats-du-Fonds-Podcasts-Natifs_a14593.html

[10] https://www.franceinter.fr/politique/podcast-a-la-hussarde

[11] https://www.francetvinfo.fr/internet/reseaux-sociaux/twitter/best-radio-in-the-world-le-patron-de-twitter-ecoute-fip-et-le-tweete_2369501.html

[12] https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/0301243541565-les-echos-se-lancent-dans-les-podcasts-2150444.php

[13] https://en.wikipedia.org/wiki/Ben_Hammersley

[14] http://www.linternaute.com/histoire/jour/evenement/1/2/1/a/53419/arte-radio_com_lance_le_podcasting_gratuit.shtml

[15] http://www.telerama.fr/radio/je-critique-durement,57716.php

[16] https://www.lexpress.fr/informations/le-moi-sonore_636184.html

[17] Médiamétrie – Global Radio 2013

[18] https://www.igen.fr/itunes/2017/12/apple-fournit-enfin-des-outils-danalyses-statistiques-pour-les-podcasts-102355

[19] https://www.apple.com/befr/newsroom/2017/12/apple-reveals-2017-most-popular-apps-music-and-more

[20] https://www.patreon.com/

[21] https://www.tipeee.com/