La sphère du business a un langage bien à lui, un jargon dans lequel anglicismes, abréviations et vocables high tech figurent à outrance. Un langage qui ferait se retourner dans leurs tombes les plus grands linguistes. Bien que décriée par les puristes et autres défenseurs de la langue française, le jargon des entreprises mérite pourtant un meilleur traitement. Il permet une communication plus efficiente et sans ambigüité entre les employés d’une même entreprise.

Le jargon d’entreprise, un mal nécessaire ?

Au fil des ans et des évolutions technologiques, le monde de l’entreprise a développé une langue qui lui est propre. Savant mélange de français, d’anglicismes et d’abréviations à tout-va, elle a de quoi attirer sur elle l’ire des défenseurs de la langue de Molière. On ne compte plus les articles de journaux et les ouvrages littéraires qui dénoncent les excès de ce jargon élevé, jour après jour, au statut de langue.

Et pourtant, le jargon de l’entreprise et la langue du business n’ont pas pour vocation de dénaturer ou de voler la vedette à la langue française. Cette langue business, qu’on qualifie de barbare à certains égards, est née de la nécessité de simplifier et d’accélérer la transmission de l’information. Elle n’a pas pour vocation d’être retranscrite dans des documents officiels, mais de permettre aux employés et aux hommes d’affaires d’échanger d’une façon plus efficiente, tout en faisant abstraction des ambiguïtés.

Pour combler un vide

Toutes les disciplines scientifiques et les corps de métier ont leur jargon et leur arsenal de termes consacrés. Il en fallait un pour les entreprises et le monde des affaires. Puisqu’il n’en existait pas, il a fallu l’inventer. A l’avènement d’Internet, il est né une flopée de termes techniques et high tech qui n’ont pas toujours eu leurs équivalents dans le langage formel. Même lorsque l’académie française avait trouvé des équivalents, ces derniers n’arrivaient pas toujours à traduire la quintessence de leurs équivalents anglais.

Avec les évolutions technologiques, naissent une multitude de mots et de notions qu’il faut à tout prix maîtriser. Pour ne pas être dépassé, il faut toujours innover et c’est ce que fait le monde de l’entreprise. Son langage n’est pas à blâmer, mais à encourager, car il permet, à la sphère francophone, de ne pas accuser un retard qui lui serait préjudiciable. Après tout, une langue ne saurait rester statique au risque de mourir. Une idée serait de voir le jargon des entreprises comme des canaux qui amènent de l’eau au moulin de la langue française.

Une exigence de la mondialisation

Le franglais qui se parle dans les entreprises et les cabinets d’affaires trouve son origine dans la mondialisation grandissante qui touche tous les secteurs d’activités. Dans les multinationales, l’anglais est de facto la langue d’appel. Ces entreprises étant implantées dans une diversité de pays parlant diverses langues, l’anglais est le seul véhicule qui puisse unir toutes les équipes qu’elles soient en Asie, en Océanie, en Afrique, en Amérique ou en Europe. Etant par excellence, la langue de la mondialisation, il n’est pas étonnant qu’elle soit devenue la langue dans laquelle tout le monde pioche des mots.

Des néologismes comme « forwarder » et « conference call » sont un bel exemple de la prédominance de la langue de Shakespeare. Ce n’est pas que des équivalents français n’existent pas, mais ils permettent d’exprimer en un mot, ce pour quoi il aurait fallu tout une expression littérale en français standard. Les équipes constituées de personnes de nationalités différentes étant de plus en plus nombreuses, il n’est donc pas étonnant que les anglicismes foisonnent dans le jargon des entreprises.

De la volonté d’imprimer sa marque

Le langage corporate ou langage d’entreprise ne consiste pas seulement à incorporer des diminutifs et des anglicismes, il consiste parfois à se construire ce qu’on appelle une identité verbale. Certaines entreprises interdisent par exemple l’usage de certains mots dans les communications formelles.

General Motors a ainsi formé ses ingénieurs afin qu’ils bannissent de leur langage des termes comme « piège », « défectueux » ou « catastrophe ». De son côté, la marque à la pomme a même fourni à ses employés un lexique où figurent des termes comme « crash » ou « bug » qu’il faut absolument éviter d’utiliser. Les expressions jugées trop pessimistes sont également à proscrire.

La véritable révolution réside cependant dans l’invention d’un vocabulaire propre aux entreprises. On trouve maintenant dans les entreprises des intitulés de postes qui en feraient sourire plus d’un : Chief Happiness Officier (CHO), responsable du bonheur, gourou, ninja… D’après les spécialistes, cette inventivité aurait ses racines dans une démarche publicitaire. Elle viendrait de la volonté de ne plus seulement vendre un produit, mais également des histoires, des valeurs, une atmosphère et un univers.

Une réécriture complète de la langue française

Les entreprises ne se contentent pas seulement d’ajouter des mots nouveaux à la langue française. Elles s’attaquent à la quintessence même de cette langue. Elles malmènent la grammaire et l’orthographe. En tête de ce coupe-gorge linguistique, viennent les startups auxquelles, on doit des termes comme « insurtech », « edtech », ou « foodtech ».

On assiste également à l’émergence d’un certain nombre de préfixes qui renvoient à des concepts nouveaux comme c’est le cas de la « cyber-sécurité », de « l’éco-conception » ou de la « e-réputation ». La sémantique s’en trouve elle-même bouleversée par cette flambée de néologismes et d’anglicismes.

A cela, il faut ajouter une érosion de la langue. Ce nouveau langage qui mise avant tout sur la vitesse de transmission des informations se caractérise par une progressive disparition des mots de liaison comme « pourtant », « quoique », « malgré » et « ainsi », qui se voient remplacés par « du coup ».

Maîtriser la langue française ne suffit plus pour se faire comprendre dans le monde de l’entreprise. Ce microcosme a son langage propre qu’il faut désormais se rendre maître, si on ne veut pas paraître ringard. Ce langage, parfois décrié par les défenseurs de la langue française, devrait plutôt être vu comme un outil de travail qui permet d’accélérer la transmission de l’information au sein des entreprises, tout en minimisant les incompréhensions. Il n’est nullement destiné à supplanter le français standard, car il sert essentiellement comme véhicule de travail. D’ailleurs le business n’est pas le seul secteur d’activité à avoir son jargon. Presque tous les corps de métiers en ont un.